« MONTRER LA SIMPLICITE DE CE QUI PARAIT COMPLEXE, ET LA COMPLEXITE DE CE QUI PARAIT SIMPLE: C’EST LA, LA LECON D’UN GRAND MAITRE. » (ZHU XIAO-MEI)
Plonger dans les entrailles du monstre qu’est PROTEST THE HERO, n’est pas chose aisée, tant la formule magique proposée par les canadiens semble au début, tout du moins pour les non initiés (mais pas que), un parcours chaotique et totalement incompréhensible proche de la démence absolue. Les Canadiens nous mènent jusqu’à la suffocation physique la plus totale tant ils nous inondent d’éléments musicaux d’une complexité ahurissante et désarmante, aux humeurs soudainement contradictoires. Puis finit toujours par nous reprendre avant l’asphyxie finale, nous insufflant un second souffle, oxygénant nos sens dans l’urgence avec une bonne dose de logique et de cohérence. Ce qui fût difficile à entendre et comprendre à l’initiation, devient alors plus simple à aborder par la suite, l’art du héros insaisissable prenant tout son sens. Des articulations d’une grande polyvalence, toujours en perpétuels mouvement autour de bases proches du hardcore et du punk glorifiées par une voix ne semblant jamais toucher terre. Presque quinze ans depuis le génie dont fut paré FORTRESS (2008), voyant doucement mais sûrement PROTEST THE HERO se faire une place parmi les références du genre en matière de metal progressif, sans pour autant phagocyter tout sur son passage. Après une légère baisse d’intensité sur SCURRILOUS (2011), moins surprenant et inventif que son prédécesseur, nos héros canadiens vit le crowfunding de leur album suivant VOLITION (2013) être un vif succès, prouvant qu’ils pouvaient compter sur le dévouement d’une solide base de fans. Un PROTEST THE HERO avançant pas à pas, concentrant ses efforts avant tout sur la qualité de sa musique, que sur ce qu’on en dira.
PALIMPSEST (sortie le 19 juin), cinquième sortie du groupe pourrait voir enfin les choses sérieusement s’accélérer et prendre plus d’ampleur pour nos amis canadiens. Pourtant la conception et l’enregistrement de ce nouvel album ne fut pas des plus simples. Il ne faillit d’ailleurs même pas voir le jour, malgré le soutien sans faille du label SPINEFARM RECORDS. En effet, RODY WALKER (chant) rencontra de sérieuses difficultés vocales qui auraient pu avoir raison de sa tessiture si peu commune. De plus il fut père de son premier enfant, nécessitant la construction d’un studio au sous-sol de sa maison pour ne pas laisser sa famille seule. Mais c’était sans compter sur l’acharnement du groupe et sa capacité à surmonter les épreuves pour élaborer et conclure un travail de studio s’annonçant titanesque.
Ce qui se confirme dès les premières notes du titre « the Migrant Mother » promettant des arrangements de tout premier ordre (et sur l’intégralité de cette nouvelle œuvre). Comme toujours, l’extrême densité du disque rend les premières écoutes parfois difficiles, tout y en retenant une foule de moments emplis d’une grâce divine et jubilatoire. Malgré un son fastueux, PALIMPSEST, paradoxalement se veut grandement accessible, notamment grâce à une qualité de refrain indéniable. Une arme à double tranchant nécessitant un effort de concentration pour pouvoir y récolter les fruits d’une apothéose de songwriting. Une musique effrénée, rapide comme l’éclair mais dont les respirations n’y sont pas absentes offrant un vrai bonheur spirituel, un havre de paix nous permettant de sortir la tête hors de l’eau, comme sur ces trois interludes que sont « harboside », « mountainside », ou bien « hillside ». Mais aussi au sein même de la structure de chansons débridées, alambiquées où la voix incroyable et folle de RODY WALKER (une prestation ahurissante) est bien mise en valeur enrobée dans un cocon souvent symphonique (comme sur « reverie ») avec lequel le groupe se joue, sans pour autant qu’il soit systématique. Ainsi, on s’en délectera les lèvres sur « from the sky » d’une bouleversante beauté. D’ailleurs les guitares du duo MILLAR/HOSKIN et la voix de WALKER y sont en parfaite symbiose. Une dextérité musicale toujours au service de véritables mélodies et chansons comme sur l’indispensable « the canary », qui malgré son enchevêtrement furieux, se veut un tube en puissance disposant d’un magnifique refrain imparable, agrémenté d’un pont atmosphérique chargé en émotion. On peut y faire d’ailleurs un parallèle avec un autre groupe qui lui aussi sait faire chanter sa complexité, c’est COHEED AND CAMBRIA, même si cette débauche d’énergie tout azimut, carrément fou n’est pas sans rappeler non plus les américains de THE MARS VOLTA. On ne peux qu’être admiratif à l’écoute de « Soliloquy » abordant de multiples facettes musicales avec une cohérence proche de la perfection. Des rythmiques et quelques vocalises d’un DEATH TECHNIQUE aux breaks escarpés, contrastant avec un final symphonique plus relâché, tempéré et grandiloquent.
Dans PALIMPSEST tout y est démesuré, presque excessif
Dans PALIMPSEST, tout y est démesuré, presque excessif, aussi bien artistiquement que musicalement, sans y altérer à aucun moment le plaisir pris, l’exaltation nous tient, elle est constamment accrochée à nos ouïes. Et l’écoute de « the fireside » n’y dérogera pas, WALKER se surpassant (est-ce possible?) dans un flot ultra rapide, presque hystérique, puis dans un refrain au canon aérien et sensationnel. Vigueur et théâtralité éclaboussant la versatilité d’un organe vocal unique en son genre. Même quand notre PROTEST THE HERO veut contenir ses élans stylistiques comme sur « all hands », plutôt rock, il finit par craquer avec des guitares stratosphériques. Celles-ci passant à la surmultipliée sur « gardenias », aux constructions mélodiques plus sophistiquées, avec une basse très présente se partageant l’affiche avec la guitare sur des plans plus groovy et ambiancés. WALKER y véhicule tout un tas d’émotions jusqu’à s’égosiller la voix. PALIMPSEST s’achève par le majestueux « rivet », avec son refrain fort puissant et diablement addictif, non s’en y avoir glissé un joli petit passage piano/bar qui rappelera l’ambiance des cabarets parisiens des années folles (1920-1929). Un nouvel album qui fut extrêmement difficile à réaliser pour le groupe canadien pour les raisons citées plus haut. Éreintant pour eux, comme pour nous, mais qui prend toute sa dimension dans la persévérance et la patience. PALIMPSEST réalise l’exploit de rendre une musique très technique et très originale, à la fois légère et accessible grâce à l’accroche mélodique omniprésente de ses talentueux musiciens. Maintenir sans cesse l’attention et provoquer l’addiction sont les maîtres mots de cette nouvelle œuvre fantastique.
LINE-UP:
RODY WALKER: CHANT
TIM MILLAR: GUITARE
LUKE HOSKIN: GUITARE
ERIC GONSALVES: BASSE
MICHAEL LERADI: BATTERIE
Tracklist :
01. The Migrant Mother
02. The Canary
03. From the Sky
04. All Hands
05. The Fireside
06. Soliloquy
07. Reverie
08. Little Snakes
09. Gardenias
10. Rivet
PROTEST THE HERO, nouvel album, intitulé PALIMPSEST, sortant le 19 juin 2020.
L’album a été produit par DERYA NAGLE et masterisé par ERMIN HAMIDOVIC. L’artwork est l’oeuvre de MARTIN WITTFOOTH.
PAPABORDG POUR LOUD TV.
Note: 9/10.
Retrouvez notre interview avec le chanteur Rody Walker ici pour son nouvel album Palimpsest ici :