
Qui se rappelle les premières notes de Tubular Bells se retrouve instantanément chez les MacNeil, plongé au cœur de « L’Exorciste ». Tel est le point de départ du groupe de death metal Karras. Il mélange allègrement punk-crust, grind et death metal, fiction, réalité et réinterprétation. Et c’est ainsi que par un bel après-midi de septembre, au cœur de Bastille, au Feelgood Rocket, j’ai eu la chance de rencontrer trois musiciens fort talentueux. Et s’ils ont parlé passionnément de musique, et de cinéma, il transparait dans leurs propos, une belle et forte histoire d’amitié et de respect mutuel.
Bonjour Karras, deuxième album, dans quelles conditions a-t-il été écrit et composé et est-ce que Yann a pu y apporter sa touche personnelle cette fois ?
Yann : Nous avons écrit, 4 morceaux chacun (5 pour Etienne) sans rien calculer. Et cette parité est très cool. En effet, j’ai pu apporter ma contribution contrairement au 1er album.
Diego : Nous l’avons écrit très vite après la sortie du 1er album puisque nous étions confinés et que nous n’avions pas pu faire beaucoup de concerts.
Tout s’est enchainé très naturellement. Nous avons commencé à composer, en travaillant morceau par morceau et en répétant au local. Chacun a apporté ses riffs et ses compos. Nous avons travaillé assez vite, parce que la musique de Karras s’y prête, et qu’il faut garder ce côté primaire et instinctif.
Etienne : Je n’ai pas grand-chose à rajouter ! (rires). Mais je trouve que l’arrivée de Yann donne une dimension supplémentaire à ce 2ème album, de ce fait, plus abouti que le 1er. Nous avons su que c’était la bonne personne, quand ses idées ont matché tout de suite avec les bases que nous avions déjà posées dans Karras.
Vous êtes 3 fortes personnalités, et j’ai l’impression que ça a fonctionné tout de suite.
Diego : J’ai rencontré Etienne par l’intermédiaire d’amis communs. Je lui ai proposé des riffs, il s’est mis à la batterie et ça a tout de suite matché. Nous avons su très vite que ce ne serait pas un projet parallèle, qu’il nous fallait une formation trio parce qu’il y en a très peu dans notre style, et que c’était cool. Nous avons intégré Yann et nous nous apportons beaucoup de choses mutuellement. Et même s’il y a trois façons de composer différentes, le résultat est assez compact.
La formation en trio vous donne cette capacité à travailler très vite et à être efficaces
Diego : C’est plus efficace à trois, parce que nous discutons moins. L’inconvénient de nos plannings chargés est devenu un avantage. Nous nous débrouillons pour répéter au moins une heure par semaine. Nous travaillons très vite, sans revenir sur les morceaux parce que nous n’avons pas forcément le temps. Mais nous tenons à garder ce côté instinctif, rapide et primaire
Etienne : Nous ne voulions pas entrer dans quelque chose de trop cérébral. Nous avons d’autres groupes dans lesquels il faut bosser les moindres détails. Mais nous sommes des musiciens suffisamment accomplis pour être capables de lâcher prise, sans se poser trop de questions inutiles. Ce qui fait que nous sommes parfois capable de terminer un morceau en 10/15 mm sans revenir dessus. Mais cette part d’instinct qui permet d’aller droit au but avec Karras est fondamentale pour moi. Et même si nous ne sommes pas si jeunes, garder la fraicheur de « jeune groupe » est hyper importante.
« L’Exorciste » a 50 ans cette année, le thème du mal au sein de l’humanité est de plus en plus dans l’actualité, qu’en pensez-vous ?
Diego : Je me sers surtout de la fiction parce que la musique permet de s’évader. Et je vais partir de thèmes qui nous passionnent pour être le moins possible confronté à la dureté quotidienne de ce monde.
Etienne : Nous ne se nourrissons pas forcément de l’actualité pour écrire les textes ou la musique. Mais c’est intéressant de voir qu’on peut tomber juste.
C’est ça aussi le talent ?
Etienne : Je n’osais pas te le dire !!! (rires)
Cet album est très sombre, violent, brut et direct, avec des morceaux très courts. Est-ce ainsi que vous avez voulu travailler et n’est-ce pas trop frustrant pour l’ingé son que tu es Etienne de ne pas trop le « peaufiner » ?
Etienne : Non, il n’y a aucune frustration, parce que je n’ai pas de cahier des charges dans mes prod, sauf qu’il faut que ça me plaise. J’aime autant quelque chose d’ultra brut, assez sale, mais néanmoins assez bien exécuté comme dans Karras que des choses beaucoup plus léchées. Et je n’ai pas envie de me cantonner à une seule manière de m’exprimer.
Je considère que nous jouons très bien dans Karras. Nous sommes des musiciens expérimentés et nous assumons de ne pas être parfaits. Nous utilisons plus nos qualités que nos défauts (sourires). Mais j’aime cet aspect authentiquement humain dont nous sommes tous les trois très fiers. Et je trouve que la musique actuelle a tendance à perdre cet aspect là
Diego, comment abordes-tu ton travail de chanteur dans le groupe ?
Diego : Nous cherchions un chanteur. J’avais déjà fait quelques chœurs et comme nous n’en trouvions pas, Etienne m’a proposé de m’y mettre.
Yann : Ils m’ont proposé le poste mais je n’avais pas le temps. Mais, une de mes motivations pour intégrer le groupe a été le chant de Diego que je trouve MORTEL
Diego : Merci ! Ce n’était pas voulu (rires).
Etienne : ce sont parfois ces accidents qui créent l’identité d’un groupe.
Diego : Ce sont les compositions d’Etienne qui m’ont aidé à trouver mon chant et qui ont fait que je me suis senti à l’aise. J’ai pris quelques cours pour savoir respirer et gueuler. J’ai trouvé le résultat cool à l’écoute des premiers essais. Je sais que j’ai une marge de progression, parce que je suis un nouveau chanteur. Et je vais tester d’autres choses parce que je ne veux pas stagner.
Etienne : C’est cet aspect « nouveau » qui donne cette fraicheur. Pour moi la personnalité du groupe passe en grande partie par le chant de Diego. Je trouve que pour un chanteur qui démarre, il a une confiance en lui de vieux briscard. C’est chouette et important pour le groupe.
Il y a un parallèle avec Mastodon, qui n’avait pas de chanteur. Alors les musiciens s’y sont mis avec leurs qualités et leurs défauts et ça a donné une vraie personnalité. Ce sont de tels éléments qui sont fondateurs dans la vie d’un groupe.
L’album tourne autour de Roland Doe. Comme celle du Père Karras dans le 1er album, vous vous appropriez son histoire, aussi bien l’histoire réelle que la fiction.
Diego : Pour le premier album nous sommes partis de l’histoire d’un film pour inventer une fiction. Pour le deuxième nous sommes revenus au fait réel qui a inspiré le livre et le film. Et je trouve intéressant de se réapproprier cette histoire et d’une faire une autre plus personnelle. La combinaison entre la fiction et une musique assez grindcore, metal extrême est très intéressante et peu commune dans notre style.
Etienne : c’est quand même une grande liberté et de l’excentricité aussi, d’imaginer ce qu’on veut. On peut ne pas être respectueux du personnage ou de l’histoire elle-même.
On va parler de Demons Got Rhythm. Je suis peut-être à côté de la plaque, mais le clip m’a fait penser à Méliès, aux animations début de siècle.
Etienne : Je n’avais pas tu tout pensé à ça. Nous étions à la fin de la composition de l’album avec 12 titres. Le précédent en avait 13 et je trouvais ce chiffre très cool. D’où l’idée de ce titre super court de 8/9 secondes. Le fait de le sortir en vrai single et non en extrait a été de faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Je trouve qu’il résume très bien ce qu’est le grindcore et j’aimerais qu’on le joue encore dans 20 ans. Le titre est drôle, excessif et primaire. Il va droit au but et c’est un bon message à faire passer. 9 secondes suffisent parfois ! (rires) … Je vous laisse compléter la fin de la phrase ! (RIRES)
Diego : C’est rigolo que chacun ait sa propre interprétation, et tu en es la preuve. J’ai beaucoup aimé que ça n’ait pas laissé les gens indifférents.
On va parler du clip de Roland Doe qui se passe dans les catacombes. Dans le clip, il finit mal !
Diego : Ce qui nous intéresse, c’est l’exorcisé. Je me suis basé sur des faits réels pour inventer l’histoire de Roland Doe. Mais ce n’est pas parce qu’une histoire finit mal qu’elle est sombre. C’est comme le deuil d’un proche. Ça fait partie de notre évolution et ça nous fait aussi rebondir et en faire quelque chose de magnifique.
Etienne : Oui, il faut en tirer des enseignements. Mais c’est le début de l’histoire qui nous intéresse pour en faire ce qu’on veut. Nous avons appris tout à l’heure que l’exorcisme de ce Roland Doe aurait marché, qu’il aurait vécu très longtemps, peut être très heureux et qu’il aurait travaillé à la Nasa. Mais cette partie de l’histoire nous intéresse beaucoup moins (rires)
On va parler de Lutheran Blade, pour moi ce morceau évoque toute la violence de Roland Doe et de la religion.
Diego : C’est comme nos propres frustrations et c’est ce que le personnage vit pendant ses séances d’exorcisme. Il y rencontre ses démons, il se rend compte qu’il a été berné, il a donc envie de tuer tout le monde. Ça ne veut pas dire qu’il le fait, parce qu’à la fin du morceau, il n’y a pas de morts.
Etienne : c’est comme American Psycho (rires)
Vous avez signé avec le label Nord-Américain M-Theory Audio en envoyant un simple mail ! Racontez-moi cette histoire et pourquoi eux ?
Diego : Eh oui, à l’ancienne ! Je me suis dit que j’allais arrêter de passer par des copains de copains qui connaissent quelqu’un qui a un label, parce que ces derniers sont submergés. Et je comprends qu’ils ne puissent pas répondre à tout le monde !
Je me suis donc renseigné pour voir ce qui pourrait correspondre à Karras. J’ai envoyé une soixantaine de mails, j’ai reçu 5 % de réponses dont une de positive de Marco Barbieri de M-Theory Audio.
C’était un peu curieux de signer sur un label étranger. Mais nous nous sommes renseignés et il avait l’air réglo. Je me suis surtout rendu compte qu’il avait bossé chez Metal Blade, formé Nuclear Blast Allemagne et Century Media Allemagne. Je savais que c’était un petit label, mais solide et prêt à faire des choses, et non pas à nous garder dans son roster en attendant de voir si on marchait bien.
Du coup : diffusion Nord-Américaine et tournée internationale bientôt alors ?
Etienne : puisse tu dire vrai !
Diego : Nous changeons de braquet puisque nous serons distribués aux USA, en Europe, en Asie et au Japon. Mais pour l’instant le label se concentre sur le pays d’origine de notre musique. Ce qui nous importe est de faire des concerts et faire découvrir notre musique aux français. Et si nous nous exportons, ce sera du bonus.
Etienne : Pour rebondir sur ce que tu dis, Marco Barbieri nous a dit que ce qui l’avait également convaincu a été notre live au HellFest from Home, fait pendant le confinement. Ce live de 15 mm a beaucoup marqué les esprits parce que c’était un vrai live. Il a vu que nous étions un vrai groupe de vieux briscards, qui jouaient bien ensemble et qui savaient ce qu’ils avaient à faire. C’était un gage de qualité et de sérieux
On vous qualifie souvent de « super groupe » comme si Karras n’était qu’un side project.
Yann : Je tiens à souligner que c’est pour moi un groupe à part entière et non un side project. J’avais envie d’évoluer dans ce style. Et nous le faisons en fonction des plannings de chacun.
Etienne Tout comme Corey Taylor, le chanteur de Slipknot, Stone Sour n’est plus un side project. Il a deux groupes.
J’ai su rapidement, quand j’ai rencontré Diego, que nous avons commencé à travailler ensemble, et que ça a matché tout de suite, que ce ne serait pas un side project. Maintenant que l’intégration de Yann est faite et bien faite nous savons que nous allons continuer et que nous avons beaucoup de choses à accomplir ensemble.

Qui a conçu votre artwork ? D’ailleurs j’aime beaucoup le côté « scarification » du design du titre de l’album.
Etienne : c’est Jean Luc Navette, il est ancien tatoueur désormais illustrateur, il vit entre l’Allemagne et Lyon.
Diego : C’est un peu l’idée, parce que c’est l’histoire d’un enfant qui a souffert.
Jean Luc a pris les idées que nous lui avions donné, fait des dessins. Je trouve qu’il a très bien réussi. Et je le remercie de nous avoir laissé retoucher son travail, ce que la plupart des artistes n’aiment pas. Il nous a donné sa bénédiction quand nous avons recadré et contrasté l’image.
L’album sort le 29 septembre et on fait notre release party le 22 septembre au Feelgood Rocket, à partir de 19 h, on va faire gagner quelques CD, passer de la bonne musique, passer le nouveau clip et on vous attend nombreux.